Cycle

Cinéma documentaire

Nous est un autre
Éthique et poétique du documentaire en Pologne

photo de plusieurs personnes dans une foule
En février 1971 (w lutym 1971) © Krystyna Gryczełowska (DR)
Infos

du 16/04/2021
au 17/04/2021

Cette programmation est organisée parallèlement au colloque international « Marges en images. Périphéries, minorités et tabous dans les films de Marcel Łoziński, Pál Schiffer et Želimir Žilnik » les 15 et 16 avril 2021 à Paris (Sorbonne Université – Lettres, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, INALCO).
Plus d’informations sur le colloque

Au milieu des années 1960, le cinéma polonais se tourne vers une appréhension fidèle de la réalité sociale, s’opposant radicalement aux visions fabriquées, détournées, et ré-écrites par les instances de propagande d’État. Ce phénomène suit, à sa façon, la poussée vers une représentation du réel promue par le « cinéma vérité » à l’Ouest. Des interrogations élémentaires font surface : Qu’est-ce que le réel ? Comment le filmer ? Comment en respecter la richesse et l’intégrité, dans un contexte où le régime communiste décuple ses forces pour offrir du monde une vue à son image, c’est-à-dire conformément à la ligne définie par le Parti unique ? Les institutions cinématographiques, bien que nationalisées, garantissent depuis 1948 une semi-autonomie aux cinéastes, à l’appui par exemple de l’école supérieure de cinéma installée à Łódź ainsi que d’une organisation en « ensembles de production » relativement indépendantes du pouvoir. Si de nombreux films se voient finalement rangés sur les étagères ou totalement censurés, l’émulation propre à cette période permet de voir éclore une génération de cinéastes très talentueux, dont font partie Krzysztof Kieślowski, Marcel Łoziński, Irena Kamieńska, Krystyna Gryczełowska, Bogdan Dziworski et Wojciech Wiszniewski. Tous sont formés à Łódź par Kazimierz Karabasz, réalisateur reconnu des Musiciens du dimanche (1958) et promoteur d’un cinéma documentaire à dimension poétique.

Désireuse d’aller débusquer les recoins jusque-là les moins exposés de leur pays, cette génération de documentaristes construit tout au long des années 1970 et 1980 un regard pluriel en réalisant des films dans lesquels c’est moins la réalité brute qui est visée que l’ensemble des éléments — matériels et immatériels — qui la composent : les êtres, les lieux, les ambiances, les visages, les gestes, les sentiments, etc. Faisant de cette diversité un matériau poétique, le mouvement cherche plus précisément à révéler la particularité de chaque individu et à pointer plus généralement ce qui détone ou fait défaut dans ce paysage que le pouvoir politique voudrait lisse et homogène. Une question devient centrale : Qu’est-ce que le « nous », le peuple ? Chaque cinéaste y répond d’une manière singulière, allant à la rencontre des pans les plus marginalisés et les plus invisibles du réel. Se définit ainsi l’esthétique de l’« école polonaise du documentaire » (Polska Szkoła Dokumentu), dont cette affirmation de Krzysztof Kieślowski résume bien les enjeux : « Il faut atteindre ce qui est le cœur de l’art depuis le début de la création du monde, il faut arriver à la vie de l’homme. La vie elle-même, doit devenir prétexte et contenu du film : son cours, son train-train, son déroulement, avec son cortège de faits quotidiens. Il s’agit d’un film sans conventions artistiques, au lieu de raconter une histoire sur la réalité, on raconte une histoire au moyen de la réalité. Au lieu de faire un commentaire au nom de l’auteur, on propose un partenariat spectateur-réalisateur. »

Ce lien entre spectateur et réalisateur, Marcel Łoziński le met justement à l’épreuve dans nombre de ses films, en rendant par exemple une intégrité fictive à un chauffeur de train injustement accusé dans Collision frontale (1975), ou en détournant les codes de la propagande dans Essai de microphone (1980), ou encore en rompant avec le récit historique officiel dans Sept Juifs de ma classe (1991). Ces séances mettent à l’honneur cette figure du cinéma documentaire tout en l’inscrivant dans un contexte de production plus large, afin de permettre la (re)découverte auprès des spectateurs contemporains d’approches documentaires ayant l’éthique pour principe actif.

Mathieu Lericq

Rétrospective organisée en coopération avec l’Institut Polonais (Paris)

Publié le 28/03/2022

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