Un homme sans attaches, rescapé d’un long périple, collecte des morceaux épars d’une identité atomisée comme les territoires qu’il parcourt. Il s’épuise dans l’étrangeté de signes, de lieux, de langues insondables. Il n’y a pas de dieu ou d’indulgence dans ses nuits, mais l’acceptation qu’il n’y a que la chair.
« L’image, mieux que tout autre chose, probablement, manifeste cet état de survivance qui appartient, ni à la vie tout à fait, ni à la mort tout à fait, mais à un genre d’état aussi paradoxal que celui des spectres, qui, sans relâche, mettent du dedans notre mémoire en mouvement. » (Jullien, 2001, p. 16) Une mémoire enfouie, occultée. Les images d’Antoine d’Agata remuent, bousculent, s’immiscent dans les consciences. Les délogent de leurs abris. Les mettent à nu. Les images viennent et reviennent. Portées par un entre. De vie, de mort. Suivre les images. Regarder, voir. Et sentir ses nerfs à vif.
Le geste D’Agata se tient dans l’expérience. Expérience d’un face à face. À lui-même. Aux autres dans un « rapport intense, intime, compliqué, parfois douloureux » Aux lieux hors de toute géographie. Qui se répondent, se fondent, se confondent. Aux marges, toujours aux marges. Pouls révulsé d’une réalité violente. Le geste D’Agata est politique. C’est un acte. Une césure dans le flux du réel. Les images, des extractions. De situations, de paroles. Plaquées, là. Contre le regard. Qui créent du trouble. Subversion par l’image. Le geste d’Agata prend l’art à rebours. « Seuls mes actes peuvent engendrer un art pur. » (D’Agata & Delory-Momberger, 2008, p. 70) Échapper à la logique imposée par les médias et les structures économiques de la société. Déconstruire toute esthétisation qui forcément arrive. Un tract posé sur le sol de l’installation Anticorps dit : « N’est valide qu’un art nuisible, subversif, asocial, athéiste, érotique et immoral, antidote à l’infection spectaculaire qui neutralise les esprits et distille la mort. »
Christine Delory-Momberger (Exister/s. Résister. Le geste d’Agata. Dans Le sujet dans la cité 2015/1 (Actuels N° 4)
Barbara Levendangeur (2013). Atlas + Odysseia. Entretien avec Antoine d’Agata. Le blog documentaire. http://cinemadocumentaire.wordpress.com