Cycle

Cinéma - Cinéma documentaire

Appartient au cycle : La Cinémathèque du documentaire par la Bpi

Judit Elek, l'art des yeux ouverts

© István Bucsányi
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du 17/09/2025
au 23/11/2025

PROGRAMME COMPLET À VENIR

Le cinéma de Judit Elek lui ressemble : courageux, sensible et sans concession. “Il faut que je sois cinéaste pour montrer les gens comme ils sont, parce que je les vois plus clairement qu’eux, et que je les aime,” écrit-elle à 17 ans. En 1956, Judit Elek a une volonté ferme : entrer à l’École Nationale de Théâtre et de Cinéma de Budapest. Alors qu’on pense encore qu’il est impossible qu’une femme intègre la section réalisation, elle y est admise et vit dès le début de sa formation le soulèvement d’octobre. L’étincelle qui embrase Budapest est au fondement de ce qui la lie à ses camarades de classe : l’insurrection contre le régime soviétique travaille en profondeur leur réflexion politique et leur manière de faire du cinéma. Ensemble, ces jeunes fondent un espace de production à part, où la création fleurit dans les interstices, en marge du pouvoir des institutions. C’est le Studio Béla Balázs – hommage à celui qui définit le cinéma comme “l’art des yeux ouverts”.

Judit Elek y fait ses premiers pas, et déstabilise ses pairs avec une méthode qui paraît alors particulière (Rencontre, 1963) : le scénario ne fixe pas les dialogues, la cinéaste met en scène des idées au sein d’un cadre sur lequel elle n’a pas de prise. Judit Elek réalise, en une douzaine d’années, des films qui inscrivent son œuvre au sein d’une pratique encore à ses balbutiements au début des années 1960 : le cinéma direct. Elle fait confiance au réel, à la parole qui s’improvise, au temps qui se loge en chaque être et qui fait plonger les enjeux filmés dans les profondeurs des existences. Elle déploie avec talent une capacité à capter les destinées qui s’apprêtent à basculer, à fixer ces moments de traversée, se plaçant au seuil des portes qui s’ouvrent et se referment. Elle s’attache au vertige de l’ouvrier qui part à la retraite comme à celui du garçon qui quitte le village (Où finit la vie ?, 1967), elle considère les tourments de la jeune fille qui doit faire le choix du travail ou du mariage (Un village hongrois, 1973) et accompagne celle qui cherche à se reconstruire après un drame (Une histoire simple, 1975). Avec attention, elle observe la mélancolie dans la solitude (La Dame de Constantinople, 1969), la pénibilité des vies de labeur (Nous nous rencontrons en 1972), le désir de s’élever, l’instant fragile des rencontres et la possibilité de trouver des joies, malgré les deuils.

Son habileté à mettre en scène la grâce et le tragique de l’ordinaire, son audace à hisser la voile d’un cinéma qui n’a encore aucun mode d’emploi se heurtent toutefois à un écueil. Durant les cinq années passées dans le village d’Istenmezeje, elle prend conscience de la responsabilité à endosser quand on entre dans la vie des gens avec le cinéma, elle éprouve les limites de ce qui se joue entre l’équipe de tournage et les personnes filmées. Avec le sentiment d’avoir franchi une frontière, Judit Elek se détourne de la pratique documentaire durant de nombreuses années, préférant la distance des histoires rejouées.

Elle ne retrouve la fibre documentaire qu’après un temps, pour tisser autrement ce qu’elle a déjà tramé dans ses fictions. Lorsque la parole peut s’ouvrir sur l’obscurité de l’histoire hongroise et, surtout, sur la douleur d’une mémoire juive, Judit Elek, survivante du ghetto de Budapest, se fait passeuse, par les archives et le témoignage. Sa rencontre avec Elie Wiesel (Dire l’indicible, 1996) la mène en Transylvanie. C’est le point de départ d’une rencontre avec Ernö Fisch (Un homme libre, 1998) et d’une longue enquête sur les traces des chants hassidiques (Après tout, les morts chantent encore, 2018). Investie par le devoir de parler, issue d’une génération rescapée du désastre, elle travaille à montrer la vie qui a résisté au pire.

Depuis bientôt 88 ans, Judit Elek trace un chemin qui lui appartient, avec l’envie de modeler son sort et non de le subir. Elle a redoublé d’efforts pour s’extraire des étiquettes qui catégorisent et des injonctions qui entravent, connaissant les dangers d’être marquée d’un signe qui scelle et réduit l’identité. A l’heure où les peurs s’expriment avec force, elle nous invite à faire un pas de côté et à réinterroger une histoire qui semble sans cesse se rejouer.

Marion Bonneau
programmatrice du cycle

Publié le 02/07/2025

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© National Film Institute Hungary

17/09/2025 à 19:30
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