Cycle
Appartient au cycle : La Cinémathèque du documentaire par la Bpi
Harutyun Khachatryan, déplier le présent
du 09/10/2025
au 30/11/2025
PROGRAMME COMPLET À VENIR
Cinéaste arménien né en 1955 dans la Géorgie soviétique, Harutyun Khachatryan a commencé à réaliser des films durant la perestroïka, puis dans les premiers temps de la république indépendante d’Arménie. Les siècles d’assujettissements successifs, le génocide de 1915, le conflit dans le Haut-Karabagh : autant de blessures qui paradoxalement cimentent un peuple ; les œuvres d’Harutyun Khachatryan, pour la plupart inédites en France, ne cessent d’interroger ce destin contrarié.
Loin d’exalter un quelconque sentiment patriotique, le cinéaste met en lien l’impossibilité de trouver la paix avec une nature humaine animée de sombres élans. Documentarist dépeint les nouveaux visages de la misère et de la corruption apparus après la chute du Mur, et la notion d’identité montre toute son ambivalence dans The Last Station. Tandis que Gerald et Nora jouent un spectacle à Avignon, cette dernière imagine que les spectateurs s’interrogent : « Ces deux Arméniens savent-ils faire autre chose que parler de leur propre culture ? » De même que, pour les comédiens, convoquer la poésie arménienne s’avère le plus sûr moyen de créer un lien avec autrui, Harutyun Khachatryan se repose sur le travail d’artistes pratiquant le théâtre, la peinture, la musique, et rend lui-même hommage à la poésie dans Return of the Poet.
Comment faire corps en tant que groupe sans se couper des autres ? Préserver un héritage sans s’y voir réduit ? Ces interrogations traversent toute sa filmographie. Par-delà les spécificités de l’identité arménienne, le cinéaste nous ramène à ce qui lie les êtres humains entre eux : à quel point la langue structure, les paysages façonnent. L’inscription des détails concrets de vies individuelles dans la marche du monde rend plus criant le fait que les rapports de force économiques, politiques et sociaux infléchissent jusqu’à l’intime. Les personnages des films sont guidés par de hautes ambitions, souvent déçues. Leurs déplacements matérialisent l’intranquillité qui se dégage de l’œuvre du cinéaste.
Du maître Artavazd Pelechian, dont il revendique l’héritage, Harutyun Khachatryan retient la liberté de puiser dans la réalité pour en agencer des fragments sous la forme de récits allégoriques, qui font souvent l’économie des dialogues. Par pudeur peut-être, le cinéaste se montre rétif à enregistrer les conversations des autres ; lorsque la parole s’invite, elle est le plus souvent formulée pour la caméra. Dans Border, le silence des humains renvoie à celui de l’animal, ici une bufflonne sauvée d’un marécage qui, comme un miroir, diffracte notre regard. Les corps mutiques, les rituels qui les rassemblent habitent un territoire incertain entre documentaire et fiction ; plusieurs récits entretiennent une indécision entre ces deux formes, avec beaucoup de naturel. Ils semblent nous murmurer qu’au-delà des films, toute existence est le fruit d’une symbiose entre le réel qui s’impose – ce qui nous est donné, l’endroit où l’on naît – et l’invention – la façon dont on écrit son existence en la vivant, et dont on la raconte.
C’est aussi par un travail au long cours que les présences brutes se gonflent d’un souffle romanesque, comme dans Return to the Promised Land, dont le titre recèle une pointe d’ironie et qui s’attache à dépeindre la vie d’une famille selon le cycle des saisons, ou dans une série de films amorcée avec Endless Escape, Eternal Return, qui dresse le portrait de proches sur plusieurs décennies. La fidélité offre un précieux recul : le présent des protagonistes est éclairé par leur passé, et vice-versa. Le bouleversement de la chronologie met l’accent sur la coexistence des temps en tout instant, particulièrement déterminante pour les Arméniens, qui portent comme un trésor la mémoire d’une histoire ancestrale. Un autre parcours nous sera raconté dans un joyeux désordre, en films et en paroles, lors de cette rétrospective : celui du cinéaste lui-même, qui sera avec nous à cette occasion.
Olivia Cooper-Hadjian
programmatrice du cycle
Publié le 02/07/2025
Projection et rencontre
09/10/2025 à 20:00
mk2 Bibliothèque (entrée principale)
Cinéma
En présence d’Harutyun Khachatryan.