Le festival Cinéma du réel propose huit variations sur le « Making of », extraites de la programmation « Fabriquer le cinéma » présentée durant le festival (15 au 24 mars). Une façon aussi de prolonger le cycle « Alain Cavalier, Ross McElwee : auto-portraits », dans la mesure où ces deux cinéastes offrent une proximité et une intimité singulières avec le processus de fabrication des films.
Le cinéma représente le monde, un monde qui s’accorde (ou pas) à nos désirs. Le cinéaste qu’il soit homme à la caméra ou chef d’orchestre d’une machine-cinéma représente le monde à la première personne, c’est-à-dire qu’il se représente aussi dans le monde. Quel que soit son geste, il est la forme singulière d’une relation au monde et c’est sans doute celle-ci qui est au coeur du processus de création, qui en est le moteur.
Mais peut-on rendre compte de ce processus de création ? Que peut-on en voir lorsque le cinéaste est au travail ? Dans le cadre de la programmation « Fabriquer le cinéma » – des oeuvres qui rendent compte ou portent la trace des manières de faire des cinéastes – le festival Cinéma du réel propose un corpus de quelques films comme une variation autour du making of, ou l’exemple de quelques cinéastes aux prises avec le monde et avec le processus de création.
Que captent ces films ? La folie, l’angoisse, la détermination, le doute. Comme Nicola Sornaga filmé par Virgil Vernier. La péremptoire et tranquille toute-puissance de Kurosawa observée par Chris Marker. Le cinéaste aux prises avec son désir et confronté au principe de réalité : cinéaste aveuglé, cinéaste clairvoyant, ou tour à tour l’un et l’autre, tel que Les Blank filme Werner Herzog aux prises avec les éléments naturels sur le tournage de Fitzcarraldo dans Burden of Dreams. Et le travail, les gestes du travail anodins, techniques, répétitifs.
Un geste qui soudain vient recouvrir magiquement la triviale réalité et fabrique comme un effet de réel, un moment de cinéma. Comme dans La Fabrique du Conte d’été, Eric Rohmer traversant lentement la plage en poussant le chariot du machiniste, parmi les vacanciers inconscients que du cinéma se fabrique là.
Mais ces films sont aussi eux-mêmes gestes de cinéastes : la manière dont Catherine Deneuve entre dans le champ du film de Paul Vecchiali, réinterprété par le cadre de Laurent Achard, transcende sa présence au cinéma dans Un, parfois deux. De leur côté, les protagonistes d’Albert Serra filmés par Mark Peranson semblent inexorablement enfermés dans les espaces infinis des décors du Chant des oiseaux.
Geste artistique autant que geste de mémoire : Journal d’un montage d’Annette Dutertre raconte la vie dans le temps du montage d’Adultère mode d’emploi de Christine Pascal, alors que Making fuck off de Fred Poulet capture en super 8 un peu de la vérité de Gérard Depardieu au sortir du tournage de Mammuth de Gustave Kerven et Benoît Delépine.
Catherine Bizern, déléguée générale du festival Cinéma du réel
Christian Borghino, adjoint à la direction artistique