Cycle

Cinéma documentaire

Dominique Cabrera : l'intégrale documentaire

Dominique Cabrera se prenant en photo dans un reflet d'une vitre
© Dominique Cabrera
Infos

du 05/05/2021
au 14/05/2021

« Certains cinéastes ont la grâce, on leur pardonne un certain laisser-aller. D’autres ont la méthode, on leur pardonne une certaine lourdeur. Ici rien à pardonner, tout à admirer. »

Ce sont les mots élogieux de Chris Marker qui, après avoir vu Une poste à La Courneuve en 1994, saluait l’émergence d’une jeune cinéaste engagée dans le champ social. Dès ses premiers essais, Dominique Cabrera a bien cette justesse exemplaire qui nous met au contact de la vie même. Sans faire de leçon ou de grand discours, s’illustrant au contraire par une admirable simplicité, son cinéma documentaire se présente comme des plus familiers : nous y entrons immédiatement, happés par la chaleur de sa vision en prise avec le monde.

Pour présenter la grande toile de cette œuvre protéiforme, il est intéressant de considérer sa puissance d’émancipation à la fois sur le plan social et artistique. Issue d’un milieu pied-noir d’origine modeste, non seulement Dominique Cabrera est une « transclasse » mais elle est aussi inclassable comme en témoigne sa filmographie qui chemine entre documentaire et fiction avec une trentaine de réalisations à son actif. Depuis son premier court métrage au titre emblématique, J’ai droit à la parole (1981), en passant par ses essais documentaires, ses films autobiographiques, ses « petites formes » tournées le smartphone au poing mais aussi ses six longs métrages de fiction — dont le dernier opus est Corniche Kennedy (2016) —, chaque projet constitue une expérience de cinéma et de vie qui a d’abord un coût humain (par opposition au coût industriel). On comprend dès lors que le point de couture de ce patchwork réside dans son engagement manifestement intime et politique.

L’entrelacs est particulièrement exemplaire dans la série de cinq films consacrés à la banlieue que Dominique Cabrera réalise coup sur coup au début des années 1990 avec l’appui d’Iskra en production — Un balcon au Val Fourré (1990), Chronique d’une banlieue ordinaire (1992), Réjane dans la tour (1993), Rêves de villes (1993) et Une poste à La Courneuve. Résolument engagés pour le vivre ensemble, ces films sont nés d’une vision qui s’apparente à un « retour au pays natal social », selon les termes de la cinéaste qui a vécu, enfant et adolescente, en HLM. Malgré le malaise que connaissent les banlieues depuis les années 1980, la jeune cinéaste cherche à traduire la relégation de ces quartiers populaires, leur abandon, mais aussi la poésie et la beauté qui les traversent. Se tenant à distance du spectacle et de toute idéologie, cet ensemble documentaire participe, selon le critique cinéaste Jean-Louis Comolli, d’une « autre mémoire » à l’intersection du politique, de l’esthétique et du vécu.

Dominique Cabrera emploie le terme de « don » ou même de « cadeau » pour décrire ce trajet de soi à l’autre qui caractérise ses films, y compris autobiographiques. En témoigne le processus d’emboîtement des altérités dans ses premiers essais personnels sur l’Algérie, Ici là-bas (1988) et Rester là-bas (1992), puis dans ses deux journaux intimes : Demain et encore demain filmé tout au long de l’année 1995 et Grandir (Ô heureux jours), véritable roman familial publié en 2013. Dominique Cabrera convoque non seulement ses proches, sa famille, son amoureux pour se réaliser à l’écran mais aussi les anonymes et toutes les choses de l’ordinaire. En mettant l’accent sur la part d’autrui — cet autre moi qui n’est pas moi — dans la construction individuelle, ces récits de soi constituent la pierre de touche de l’engagement de la cinéaste.

Cette première rétrospective française de l’œuvre documentaire de Dominique Cabrera met en lumière « un art de s’engager dans le commun ». De la micro-histoire à la mise en récit de faits historiques et sociaux (la guerre d’Algérie, le mouvement des « Gilets jaunes », #NousToutes), on observe une dialectique sensible qui relie le Je au Nous. Ainsi Dominique Cabrera réinvestit la notion de « commun », non pas au détriment de l’individualité mais de façon à faire émerger les nœuds entre subjectivité et altérité. En reconnaissant cette humanité commune — chacun de nous est un être dont il convient de se soucier (soi-même, les autres) —, la réalisatrice inscrit l’éthique du care que l’on associe à l’intime, au centre de l’arène publique, renouant dès lors avec le politique. Ce commun fonde assurément le cinéma de Dominique Cabrera, et lui donne toute sa valeur démocratique.

Julie Savelli

Les propos ici rapportés, à l’exception de la citation initiale de Chris Marker, proviennent de l’ouvrage collectif Dominique Cabrera. L’intime et le politique (De l’Incidence Éditeur, à paraître en avril 2021). Ce recueil réunit des essais critiques, des documents de travail (y compris sur les projets en création) ainsi que des entretiens avec Dominique Cabrera et ses collaborateurs. Par la contiguïté de différents régimes d’écriture (scientifique, artistique, professionnel), il revêt autant de textures et de styles pour approcher l’œuvre de Dominique Cabrera sous un angle à la fois critique et génétique dans une démarche monographique inédite en France.

BA – Dominique Cabrera, l’intégrale documentaire from Bpi Cinéma on Vimeo.

Lire plus

Publié le 28/03/2022

Toutes les dates

Projection

Image d'illustration
Droits réservés

05/05/2021 à 20:00
En ligne

Cinéma documentaire

Le 29 décembre 2018, les Gilets Jaunes de Commercy dans la Meuse lancent un appel sur internet à la première...

Projection

Image d'illustration
Droits réservés

06/05/2021 à 20:00
En ligne

Cinéma documentaire

La réalisatrice, qui a passé son enfance dans une tour HLM en Normandie, a appris qu’une tour de Mantes-la-Jolie était...

Projection

Image d'illustration
Droits réservés

07/05/2021 à 20:00
En ligne

Cinéma documentaire

“Dans la pénombre d’une salle de spectacle, des visages écoutent… Des voix, des cris, une femme pleure, un homme se...

Projection

Image d'illustration
Droits réservés

08/05/2021 à 17:00
En ligne

Cinéma documentaire

L’ouvrage collectif “Dominique Cabrera. L’intime et le politique” (De l’Incidence Éditeur) paru ce printemps, fut l’une des principales motivations pour...

Projection

Image d'illustration
Droits réservés

09/05/2021 à 17:00
En ligne

Cinéma documentaire

Réjane fait le ménage dans une tour au Val Fourré. En l’écoutant, en regardant ses gestes et en suivant ses...

Projection

Image d'illustration
Droits réservés

10/05/2021 à 20:00
En ligne

Cinéma documentaire

Séance présentée par Dominique Cabrera, Dominique Bluher (universitaire, traductrice, commissaire d’exposition et Denis Gheerbrant (réalisateur) 1995 : neuf mois durant,...

Projection

Image d'illustration
Droits réservés

12/05/2021 à 20:00
En ligne

Cinéma documentaire

L’été 2007, Dominique Cabrera, Laurent Roth, Sophie Wahnich et douze comédiens se retrouvent au Moulin d’Andé pour donner corps à...

Projection

Image d'illustration
Droits réservés

13/05/2021 à 17:00
En ligne

Cinéma documentaire

Séance suivie d’une conversation entre Dominique Cabrera et Ross McElwee (réalisateur) Une famille comme les autres avec ses moments de...

Projection

Image d'illustration
Droits réservés

14/05/2021 à 20:00
En ligne

Cinéma documentaire

Ici : la France 1987, là-bas : l’Algérie 1963. Comment accepter cet héritage ? Un film de mémoire à travers...