Il semblerait que les arbres aient recours à un système de ramifications, un réseau de nervures souterraines pour communiquer. Il y a dans l’œuvre de Daniela de Felice et Matthieu Chatellier quelque chose d’analogue reliant chacun de leurs films et proposant l’émergence d’un monde sensible. Elle, vient d’une école d’art, lui, d’une école de cinéma.
Couple au travail comme à la ville, ils se rencontrent au festival Les inattendus à Lyon. Dès lors apparaît un désir commun de film et très vite se dessine un besoin de liberté vis-à-vis de leurs propres pratiques artistiques. Le cinéma documentaire s’impose par la légèreté du dispositif et la souplesse des différentes étapes de création, par la possible spontanéité et la relation privilégiée au sujet filmé.
En 2007, ils co-réalisent (G)rêve général(e) sur l’occupation de l’université à Caen, un corps collectif en mouvement qui vient habiter l’image. Plus tard, ils poursuivent la fabrication d’un espace de création commun où chacun compose sa propre partition artistique. Cette ligne ténue et poreuse entre leurs univers permet au langage cinématographique d’accueillir les modes d’expression qui leur sont cher : écriture, dessin, voix. Ce qui fait cinéma chez l’un et l’autre est peut-être ce point de rencontre entre des mondes qui s’entrecroisent, se mélangent, se distinguent. Ainsi, leurs manières respectives de faire du cinéma, se nourrissent de ce que chacun y amène et provoque.
Daniela a une très belle formule pour décrire ce processus : 1+1 font plus que 2. Il ne s’agit pas de la simple mise en mouvement d’une idée mais plutôt de la naissance d’une œuvre qui interagit, à l’image d’un corps qui vibre, évolue, s’arrange avec le monde qui l’entoure. Toujours en quête de nouvelles formes, ils ne cessent de se réinventer. Chacun développe un univers spécifique tout en composant un paysage commun. Partout où l’œil se pose une singularité apparaît et, pourtant, la cohérence est là, palpable.
Retour à ces arbres, à ces éléments qui relient. Mille fois recommencer (2020) vient prolonger les chairs mutilées de La Mécanique des corps (2016). Ardenza (2022) explore les émois d’un corps que la maladie vient bousculer dans Doux Amer (2013).
Difficile de ne pas voir dans les films autour de Fred Deux et Cécile Reims, Voir ce que devient l’ombre (2011) et De part et d’autre (2022, proposé ici en avant-première exceptionnelle), le regard porté sur le couple au travail. Des intentions, des gestes, des sujets parcourent leurs films et se répondent dans une sorte de chorégraphie intime. Daniela de Felice et Matthieu Chatellier interviennent toujours dans le projet de l’autre, à l’un de ces moments qui jalonnent la fabrication d’un film, avec ses précipices et ses élans. Et si l’objet final est signé et appartient entièrement à l’une ou l’autre, il est bel et bien le fruit de cette interaction constante. Il s’agit donc d’un parcours croisé où chaque film vient aider le suivant à naître.
Ce cinéma organique, sensuel et délicat, se déploie à travers le travail plastique et cinématographique des deux artistes, apportant une lumière, une teinte, une texture à l’image et au son. L’intime est ici rendu au collectif, à l’universel, à quelque chose qui dépasse le simple récit, qui nous embarque sans nous brusquer. II aurait été presque étrange de séparer ces mondes et tellement évident de les réunir pour ce cycle inédit.
Aurélie Solle
Chargée de coopération audiovisuelle à la Bpi