Ici je vais pas mourir
de Cécile Dumas, Edie Laconi
01h11min, France, 2019, Accessible aux francophones
Ici, c’est la « salle de consommation à moindre risque », la salle de shoot, qui a ouvert en octobre 2016 dans un bâtiment de l’hôpital Lariboisière, à Paris. C’est un lieu dont le film ne sort pas, sinon quelques secondes sur un bout de trottoir, aux portes du générique. Un plan ou deux suffisent à désigner l’extérieur, pour rappeler l’hostilité d’une partie des riverains – un panneau « Non à la salle de shoot », entr’aperçu, ficelé à une fenêtre. Et c’est à ces riverains qu’il faudrait montrer Ici je vais pas mourir en premier lieu, les guérir de leur peur par la fraternité doucement dessinée par le film, leur donner surtout à entendre cet usager aux yeux embués par la fatigue et qui explique, simplement: « Nous-mêmes on fait du mal à nous, on va pas faire du mal à quelqu’un ». Le lieu est blanc hormis quelques meubles fonctionnels, et sa neutralité un peu aveuglante est presque pour le film celle d’un white cube, un lieu effacé pour en laisser voir un autre, sans contours et bâti seulement par les mots auxquels Cécile Dumas et Edie Laconi donnent libre cours: celui de la défonce comme maison, comme pays, de ceux qui sont à la rue et à qui la salle offre repos, soins et considération. Le minuscule port d’attache de la salle de shoot devient ainsi pour le spectateur une précieuse salle d’écoute, pour comprendre que ce pays lointain où se sont perdus Bilal, Janusz ou Hervé, ne lui a en vérité pas grand-chose d’étranger.
–Jérôme Momcilovic
L'Immeuble des braves
de Bojina Panayotova
00h22min, France, 2019, Accessible aux francophones, English-speaker friendly
« À Sofia, les habitants d’un immeuble mythique avaient été expulsés. Je venais y faire des repérages pour un film ». Ce qui rend cet immeuble bulgare mythique, pourquoi ses habitants en ont été expulsés, et comment un travail de repérage est devenu un film, nous l’apprendrons, après ce bref carton introductif, comme Bojina Panayotova semble l’avoir vécu : à la manière d’un emballement soudain qui fait basculer le réel dans l’irréel plein d’action d’un thriller paranoïaque. Il suffit d’un coup de fil à un homme rencontré au préalable : « occupé à sauver le monde à sa manière » en ramassant des escargots sur la barrière d’une bouche de métro, il se présente trois petites minutes plus tard devant l’immeuble pour jeter des bouts de saucisse par les fenêtres de l’immeuble condamné en criant les noms d’un chat et de deux chiens semble-t-il prisonniers de l’habitation délabrée. Mais bientôt le gardien de l’immeuble se gare, interdit l’entrée et la caméra, menace de casser la gueule d’Ivan dont Panayotova suit les pérégrinations affolées dans le quartier, invectivant voisins à leur fenêtre, commerçants dans leurs boutiques ou chauffeurs de bus au volant. Qu’est-il advenu des chiens ? Ces « chers communistes », le chenil Éco-équilibre, quelque mafia arabe ou une « sauvagerie bulgare sans limites » seront les suspects provisoires de ce documentaire rocambolesque, lancé dans une fuite en avant dont la mécanique digressive l’apparente aux meilleures fictions.
–Antoine Thirion